La Belgique est passée d’un extrême à l’autre, mais elle se situe dans la mouvance des pays européens[1] qui connaissent une métamorphose de la justice pénale entre rituel hérité du XIXème et le management propre à la société contemporaine obsédée par la gestion.
De cet antagoniste naît une nouvelle façon de juger. Le management appliqué à l’institution judiciaire dans sa version la plus plate est celle des économies de temps et d’argent.
Ce management modifie les rituels, mais aussi le lien social et les attentes projetées sur l’audience par les parties.
La « parole judiciaire » et plus particulièrement la parole de l’audience pénale connaît ainsi des mutations troublantes[2].
Ainsi avec l’absence de témoins dans les tribunaux correctionnels, l’oralité des débats est vidée de sa substance et le contradictoire n’opère plus.
La présence des témoins suscitait des questions croisées par les parties.
Le face-à-face de l’accusé et de la victime ou encore la confrontation des versions contradictoires créent un choc émotionnel propice à la manifestation de la vérité.
Désormais, avec le tribunal correctionnel, la vérité ne se recherche plus dans l’évaluation de l’authenticité des témoignages, dans la crédibilité d’un récit mais se recherche dans l’examen du dossier, dans la confirmation d’éléments préalablement acquis au cours de l’instruction.
Le récit spontané n’est plus recherché car le tribunal est composé de magistrats professionnels qui connaissent le dossier et recherchent des confirmations ou des précisions. L’oralité cède la place à l’écrit avec un tribunal composé de juges professionnels qui vérifient l’exactitude des faits relatés dans la procédure sans reprendre tout à zéro.
Qui sont les gagnants et qui sont les perdants d’une telle justice ?
Le grand gagnant est évidemment l’Etat puisque l’audience est plus courte et professionnalisée. Il y a une réduction des coûts pour la justice : plus de jurés à indemniser, plus d’experts (ou moins) à rémunérer pour leur déposition à l’audience, plus de déplacements des témoins.
La temporalité de l’audience est au cœur de la problématique de l’oralité des débats capable de produire du sens.
Audience trop longue ou trop courte, il faut trouver le juste milieu pour rendre l’oralité porteuse de sens autant pour l’accusé que pour la partie civile.
Il faut repenser l’oralité dans l’acte de juger pour que chaque partie trouve sa juste place pour le développement d’une justice restauratrice. Par exemple, laisser s’exprimer un accusé qui progresse dans l’explication de son acte ou encore entendre une partie civile qui réalise son travail de deuil.
Il ne s’agit pas d’une justice expéditive car le tribunal prend le temps de juger mais d’une justice professionnalisée où l’écrit prend le pas sur l’oralité des débats comme force probatoire du jugement.
Ce sujet a été réalisé en collaboration avec Madame Christiane Besnier, chercheuse au laboratoire d’anthropologie culturelle Université Paris Descartes Sorbonne dans le cadre d'une recherche en cours, à savoir l'étude comparative des pratiques judiciaires des juridictions criminelles : France, Belgique, Suisse en vue d'un rapport pour le Ministère de la Justice en France.
[1] Pour info : la Suisse
Le code de procédure pénale suisse unifié (adopté le 5 octobre 2007) est entré en vigueur le 1er janvier 2011. La notion de « jury populaire » a disparu depuis cette date mais l’on note la présence de non-professionnels, appelés « assesseurs-jurés » ou « juges laïcs » à Genève, dans le canton de Vaud (Lausanne) et dans le Tessin (Locarno). Cette abrogation du jury est liée à l’adoption d’un système procédural dit du « ministère public II » et notamment aux articles 330 al. 2 du Code de procédure pénale suisse qui prévoit la circulation du dossier préalablement aux débats c’est-à-dire la connaissance des pièces du dossier par les membres du tribunal. En outre, l’article 343 du code de procédure pénale prévoit que les preuves considérées comme satisfaisantes au cours de l’instruction n’ont plus à être discutées devant le tribunal. Autrement dit, selon le « principe de l’immédiateté limitée » les preuves ne sont pas réexaminées à l’audience si elles sont valablement admises durant l’instruction.
[2] Jean Danet, La justice pénale entre rituel et management, Presses Universitaires de Rennes, 2010.