http://assertivespirituality.com/2018/12/02/complexities-of-ostracism-part-1/
Depuis la prise de conscience en Belgique de la règle des deux témoins dans le traitement de la pédophilie chez les Témoins de Jéhovah, le centre CIAOSN a demandé une enquête parlementaire, le parquet fédéral a ordonné la perquisition du siège des Témoins de Jéhovah et les médias en parlent constamment.
Ceci est une synthèse reprenant les données juridiques relatives à la problématique du mouvement des témoins de Jéhovah à prendre en considération.
La règle des deux témoins et l'ostracisme : deux obstacles au dépôt de plainte ?
Tout d'abord, la règle des deux témoins empêcherait systématiquement le dépôt d'une plainte puisque cette règle impose que la jeune victime donne le nom d'un autre témoin pour que l'affaire soit suivie d'effet.
A cet égard, le porte-parole du mouvement a déclaré que les anciens devaient dénoncer les auteurs. Cette déclaration irait à l'encontre de leur vidéo officielle proclamant qu'ils ne changeraient jamais leur règle des deux témoins malgré leur condamnation en Australie. S'agirait-il d'un double langage ? Il y aurait le discours destiné au public et celui destiné aux membres dans leur vidéo.
Près d'une centaine de victimes potentielles ont été recensées par une association depuis l'annonce de l'enquête parlementaire. Il serait utile de savoir combien de dénonciations d'anciens ont eu lieu sur ces 90 cas car c'est à ce niveau que cela pose le plus de problème. En effet, il ressort des témoignages que les "anciens" ne dénonceraient pas aux autorités les "anciens" qui seraient coupables car ils risqueraient de perdre leurs privilèges et de se voir éventuellement excommuniés.
Ce qui nous amène au deuxième obstacle au dépôt de plainte : l'ostracisme. C'est le rejet hostile d'un membre par l'ensemble du mouvement s'il ne suit pas les règles dictées par l'organisation, en ce comprises les règles de traitement interne de la pédophilie selon la règle des deux témoins.
Les fidèles sont mis en garde lors d'une assemblée publique de ne plus avoir de contact (pas même un simple bonjour) avec la personne à ostraciser qui est nommée publiquement sans donner le motif d'exclusion, sous peine pour eux d'être eux-meêms exclus et ostracisés.
L'ostracisme devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme :
Monsieur J.L. après 15 années de procès devant les Juridictions Belges a déposé par le biais de ses conseils, Maîtres Florence GOBRON et Jean-Louis GILISSEN une requête devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour déterminer si les consignes sont conformes à la Convention.
Le requérant soutient qu’en mettant en place des directives d’exclusion et de non-fréquentation à l’égard des personnes qu’il a excommuniées, le mouvement des témoins de Jéhovah crée une injonction de discriminer et une distinction discriminatoire à l’égard de ces excommuniés par rapport aux autres personnes n'ayant jamais fait partie du mouvement.
Les exclus redeviennent des "gens du monde", censés être dans une situation comparable à ceux qui n'ont jamais été témoins de Jéhovah. Ces derniers jouissent pourtant d’un traitement préférentiel : leurs échanges sont respectueux, libres, sans conséquences préjudiciables sur leur vie privée et familiale contrairement aux exclus, étant eux victimes d'ostracisme et de chantage affectif.
S'agissant de mesures d'ordre et non de croyances, ces consignes étant assorties de sanctions, elles ne bénéficient pas de la protection de la convention (liberté de culte art. 9 CEDH) suivant le raisonnement de la Cour d'Appel de Liège.
L'excommunication est définie comme une punition et est vécue comme un emprisonnement social selon le rapport de l'UNADFI.
Pour prouver sa discrimination, un prisonnier en détention provisoire avait écrit à la direction au sujet de ses droits de visite limités par rapport aux détenus condamnés, elle lui avait répondu que c'était la réglementation applicable. De manière identique, l'organisation répond au requérant qu'il s'agit de la réglementation applicable aux témoins de Jéhovah et qu'il a marqué son accord sur celle-ci lors de son baptême. Cet argument vaut comme moyen de preuve (l'aveu) de leur existence et de leur application et ne peut emporter d'autres effets.
L'organisation prétendrait se fonder sur les Ecritures pour excommunier mais son discours serait incohérent puisqu'au nom de la liberté de conscience, elle refusait de pratiquer l'excommunication et la critiquait lorsqu'elle était pratiquée par l'Eglise Catholique :
"Ceci est le "canon de la loi" que la hiérarchie Catholique Romaine tente de faire appliquer sous le prétexte que c’est la loi de Dieu. L’autorité de l’excommunication vient, affirment-ils, des enseignements du Christ et des apôtres que l’ont trouve dans les versets suivants : Matthieu 18:15-19 ; 1 Corinthiens 5:3-5 ; 16:22 ; Galates 1: 8,9 ; 1 Timothée 1:20 ; Tite 3:10. Mais l’excommunication hiérarchique, en tant que punition et remède "médical", ne trouve aucun fondement dans ces versets. En fait, ceci est même étranger aux Écritures – Hébreux 10:26-31. Quand, donc, cette pratique est-elle apparue? L’Encyclopédie Britannique dit que l’excommunication papale n’est pas sans influence païenne, "et ses variations ne peuvent être adéquatement explicitées sans faire référence à des excommunications non-chrétiennes analogues". (…) Ce fut donc après que le catholicisme adopta cette pratique païenne, en 325 de notre ère, que ces nouveaux chapitres religieux de l’excommunication furent écrits. Dès lors, quand les prétentions de la hiérarchie augmentèrent, l’arme de l’excommunication devint un instrument par lequel le clergé conçut une combinaison mêlant pouvoir ecclésiastique et tyrannie profane sans précédent historique. (…) »
Le requérant cite quant à lui : Matthieu 5, 43-48 : «Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant? Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.»
En réalité, les instructions auraient pour unique but illégitime d’empêcher le départ des adeptes de l’organisation et de contraindre celui qui a néanmoins quitté l’organisation à y revenir par un chantage affectif dès lors que sa famille et ses amis refuseraient tout contact avec lui.
VIOLATION DE L'ARTICLE 14 COMBINE A L'ARTICLE 8 DE LA CEDH
Ces consignes d'ostracisme entraînent, par nature, des restrictions à la vie privée et familiale de l’intéressé. Le champ d'application de l'article 8 de la CEDH couvre également le droit pour l'individu de décider librement s'il entend nouer ou développer des relations avec autrui. (CEDH, Nietmetz c. Allemagne, 16 décembre 1992, GACEDH, n°45). Le comité des droits de l'homme estime que la notion de vie privée renvoie au domaine de la vie de l'individu où il peut exprimer librement son identité que ce soit dans les relations avec les autres ou seul (CDH n°453/1991, Coeriel et Aurik c/ Pays-Bas, 31 octobre 1994, A/50/40, vol. II, p. 21). La seule identité de notre client serait, selon eux, celle d'un paria.
La Cour constatera ainsi que les faits de la cause tombent sous l’empire de l’article 8 (CEDH, Sidabras et Dziautas c. Lithuanie, 27 juillet 2004, § 38), qu'il y a une différence de traitement à l’égard du requérant et que, cette différence est incompatible avec l’article 14 de la Convention dont l'effectivité n'a pas été garantie par les Juridictions Belges. Les restrictions dont il fait l'objet sont graves et disproportionnées. Alors qu'elles durent depuis 17 ans (la belle-famille proche du requérant est témoin de Jéhovah), le requérant ne bénéficie pas d'une protection de ses droits aussi sérieuse que celle octroyée à un détenu, dès lors que la Cour d'Appel de Bruxelles et la Cour de cassation n'ont pas répondu aux articles de la Convention invoqués, en violant en outre l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la Cour d'Appel de Mons qui avait réservé à statuer sur la violation de ces articles. Ces arrêts ont été jugés dans le non-respect de la motivation exigée par l'article 149 de la Constitution belge, d'ordre public.
VIOLATION DE L'ARTICLE 14 COMBINE AUX ARTICLES 8 ET 9 DE LA CEDH
Le requérant a également invoqué une atteinte à sa liberté de culte en ce qu'il n'est pas loisible à un exclu repentant de changer de religion sans contrainte. Des pressions ont bien été constatées par la Cour d'Appel de Liège mais justifiées par l'acceptation des consignes par le requérant du fait de son adhésion, ce qui confère à celle-ci des conséquences définitives au mépris de la liberté de changer de religion ou de conviction, droit inaliénable.
Le requérant maintient que les pressions issues des consignes écrites sont à ce point abusives qu'elles l'empêchent encore aujourd'hui d'exprimer ses opinions religieuses chez lui envers sa femme alors que tous (tant les non-membres que les témoins de Jéhovah) ont une liberté totale de convaincre leur prochain en public et en privé. C'est dans le cadre de la nécessaire analyse de la proportionnalité et de la mise en balance des droits de chacun que le requérant invoque ces atteintes et conclut à la disproportionnalité de la différence de traitement.
Le requérant est discriminé dans son droit à convaincre son prochain, en l'occurrence sa famille, et ses anciens coreligionnaires (selon la définition large de l'article 8 de la CEDH) qui risquent l'exclusion s'il exerce ce droit, à la différence des témoins de Jéhovah qui jouissent du droit au prosélytisme consacré dans l'arrêt Kokkinakis c. Grèce, 29 mai 1993, § 31. Cette discrimination ne trouve aucune justification raisonnable, l'article 9 de la CEDH étant un droit absolu et inconditionnel.
S'il est reconnu aux témoins de Jéhovah, dans l'arrêt Kokkinakis c.Grèce du 25 mai 1993, le droit d’enseigner ses croyances aux autres, ce droit existe assurément pour les autres religions au risque de violer le principe d'égalité et de tolérance.
En vertu de son obligation de vigilance, l'Etat doit veiller à ce que les personnes jouissent de la liberté de religion sur un pied d'égalité d'après la résolution du Parlement européen du 15 janvier 2019 sur les orientations de l’Union européenne et le mandat de l’envoyé spécial de l’Union européenne pour la promotion de la liberté de religion ou de conviction à l’extérieur de l’Union européenne (Points D et H).
Selon Wikipédia, le prosélytisme désigne le « zèle » déployé afin de rallier des personnes à un dogme ou une théorie ou doctrine. Le « nouveau converti » est dit Prosélyte. Les témoins de Jéhovah qui parcourent les rues jusqu'à sonner aux portes font du prosélytisme. Le terme prosélyte est utilisé dans Matthieu 23, 15 : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte ; et, quand il l'est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois plus que vous. »
Le requérant, étant protestant a droit à ce que sa liberté de manifester sa religion ne s’exerce pas uniquement de manière collective, "en public" et dans le cercle de ceux dont on partage la foi : on peut aussi s’en prévaloir "individuellement" et "en privé"; en outre, elle comporte en principe le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un "enseignement", sans quoi du reste "la liberté de changer de religion ou de conviction", consacrée par l’article 9 (art. 9), risquerait de demeurer lettre morte. (§ 31 de l'arrêt)
Pour les personnes habitant sous le même toit, il est dit dans le Ministère du Royaume d'août 2002, sous le titre : « La fidélité chrétienne éprouvée par l’exclusion d’un parent » : "Dans le cas où un exclu, membre de la maisonnée, désire assister à l'étude ou à la lecture de la Bible en famille, on pourra accepter qu'il écoute à condition qu'il n'essaie pas d'enseigner les autres ni qu'il exprime ses opinions religieuses. "
Les règles du mouvement continuent à s'appliquer dans son chef alors qu'il n'est plus membre.
Dans le règlement destiné aux anciens intitulé : "Faites paître le troupeau de Dieu", 2010, p. 117 : un témoin de Jéhovah qui fréquente l'un de ses proches parents exclu ne sera pas exclu, à moins qu'il entretienne des relations spirituelles avec lui ou s'efforce de justifier ou d'excuser la mauvaise conduite de l'exclu. Sa femme risque donc l'exclusion si elle accepte de discuter avec lui de ses opinions religieuses.
Vis-à-vis de son prochain ne vivant pas sous le même toit, il est également empêché dans son droit à convaincre de sa foi : si un Témoin de Jéhovah accepte de parler avec lui, il peut être exclu. En effet, l'apostasie (même pour un simple désaccord) est une cause d'exclusion ce qui empêche toute possibilité de débat. Même lorsqu'un Témoin de Jéhovah se retire volontairement de l’organisation parce qu'il ne partage tout simplement plus les mêmes opinions, il sera excommunié et ostracisé.
Les consignes portent atteinte à la liberté de conscience garantie par l'article 9 de la CEDH.
La consigne édictée dans La Tour de Garde du 15 février 2004, p. 28 empêche leur libre arbitre : C’est une erreur de penser qu’il est nécessaire d’écouter les apostats ou de lire leurs écrits pour être davantage en mesure de réfuter leurs arguments. Leurs raisonnements malhonnêtes et pernicieux peuvent vous causer des blessures spirituelles et infecter votre foi aussi rapidement que s’étend la gangrène.
Dans le cas de l'excommunication d'un fidèle, l'absence de liberté de conscience est flagrante dès lors que le fidèle ne peut décider de lui-même d'avoir des contacts avec l'exclu alors qu'il ignore même le motif de l'exclusion.
En effet, d'après leurs consignes : "Quand il est nécessaire d'exclure de la congrégation un pécheur non repentant, on fait une brève communication mentionnant simplement que telle personne a été exclue. Il n'y a pas lieu d'en dire plus. Ce sera une mise en garde pour les membres fidèles de la congrégation, les invitant à cesser de fréquenter cette personne."
L'adepte doit se contenter de ce que l'organisation déclare sans vérification possible puisqu'elle est la seule détentrice d'informations ayant mené à la décision d'excommunication. S'il s'agit d'une croyance comme le refus d'une transfusion sanguine, les adeptes bénéficient de la protection de la liberté de culte, mais s'agissant d'une mesure d'ordre, l'excommunication échappe à la protection de la liberté de culte et porte même atteinte à la liberté de conscience.
L'organisation ne pratiquait pas l'excommunication au nom de la liberté de conscience garantie par l'article 9 de la CEDH : La Tour de Garde (éd. angl.) du 1er avril 1920, pp. 100, 101 : « Nous ne refuserions pas de traiter quelqu'un comme un frère parce qu'il ne croirait pas que la Société est le canal de communication du Seigneur. (…) Si d’autres voient les choses différemment, c’est leur privilège. Il doit y avoir une totale liberté de conscience. » Cette liberté de nouer des relations doit s'effectuer dans le chef des adeptes de manière individuelle (et non de manière collective) en vertu de la liberté de conscience de chacun, à défaut, le requérant est discriminé dans son droit à être traité dignement et à pouvoir échanger ses convictions de manière égalitaire et avec tolérance de part et d'autre.
Le fait d'être excommunié dès qu'on exprime une différence d'opinion et l'absence de possibilité de liberté de conscience des adeptes entraîne une discrimination dans son droit à convaincre par rapport aux témoins de Jéhovah et ceux qui ne sont pas témoins de Jéhovah, discrimination ne trouvant aucune justification raisonnable, l'article 9 de la CEDH étant un droit absolu et inconditionnel.
Florence Gobron